Cette maison a une histoire. Elle est située à l’emplacement de la demeure du premier gouverneur de la Martinique au XVIIe. Des membres de la famille propriétaire au XIXe siècle sont enterrés sur place. Les constructions furent détruites par l’éruption de la Montagne Pelée en 1902. Mon grand-père paternel acheta ces terres en 1917 et mes parents s’y installèrent dans les années 50. J’ai vécu toute mon enfance dans cette maison. À mon adolescence, je l’ai quitté en même temps que l’île natale.
J’ai pris ces photos lors d’un voyage en 1999. Mon père était décédé depuis deux ans. La société familiale ayant été vendue, je savais que la dernière personne de la famille à y séjourner serait ma mère. Elle avait conservé la même disposition des meubles que j’ai toujours connue. Aux murs se trouvaient entre autres : une carte de la Martinique datant du XVIIe, un portrait de Joséphine Bonaparte native du pays, des lithographies de Saint-Pierre et Fort-de-France au XIXe siècle et aussi des photographies de la famille.
Les fenêtres m’offraient un espoir de franchir cet espace clos qui me pesait quand j’étais jeune. Les jalousies me permettaient de trouver un passage entre le dehors et le dedans, comme si cette maison symbolisait la vie insulaire d’un groupe qui vit entre soi.
Les cadres aux murs rendaient palpable le passage du temps. La transparence et les reflets du verre me fournissaient la possibilité de confronter le passé et le présent en compagnie d’un personnage intemporel : le cocotier. Avec les vicissitudes de la vie et celles des affaires, la roue tourne. Mais cette plante, emblème du paysage tropical, demeure.
Après le décès de ma mère en 2007, il m’a fallu attendre encore quelques années pour reprendre ces négatifs, faire la sélection des images et mettre ces photos sur papier.
Dans un large bac, les feuilles du papier baryté flottent dans leur eau de rinçage. Elles sont souples, fragiles et restituent le velouté du rideau. Cela me fait penser au chou coco, le cœur du cocotier, un met délicat. Il faut abattre la plante pour en extraire le bourgeon terminal. Les jeunes feuilles en formation, si blanches, sont enveloppées dans un drap de lin et plongées dans une eau bouillante. La chair nacrée devient fondante.